Portés par des vents favorables…  

La Gaspésie, été 2006

par Claire Landry 

 Le vent souffle où il veut; tu entends sa voix,   
mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va.  
Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit.
      
                                                                 Luc
                                                                          

     Quand on décide de partir en voyage, il faut faire preuve de lucidité sur ses motivations, ses attentes et ses espoirs, sinon les risques de déception sont grands.                     

        Sénèque dit :  Celui qui ne sait pas où il va, le vent ne lui est jamais favorable – 

    Cela implique qu’on laisse de côté les préjugés, en adoptant une attitude ouverte et non conventionnelle. Un voyage, c’est une « régression au service du moi », permettant d’accéder à des fantasmes ou à des rêves. Et quand on voyage en groupe, il faut accepter les espaces de chacun.

     Ce périple en Gaspésie, offert par  Spiritours n’avait pas, à mes yeux, le « glamour » de celui, effectué avec la même agence de voyages, dans les monastères du sud de la France au printemps 2005 - j’ai fait un récit de ce trajet :  À la recherche de pierres vivantes… 

    La différence la plus importante, c’est l’Histoire, écrite en Europe par les humains dans les monuments et les institutions, et incrustée ici dans la nature. Finalement, j’ai quand même découvert plusieurs événements historiques et culturels fort intéressants.

     Nous, les voyageurs, étions peu nombreux, ce qui est un choix de Spiritours pour favoriser  la convivialité.

        Comme le dit Épicure : Peu suffit, trop nuit.

     Notre accompagnateur, René Godbout, a mis au service des ses ouailles le meilleur de lui-même et de ses ressources. Physiquement solide et ouvert à ses émotions, capable d’écoute et d’ajustement,  il a mis à nos pieds le vent, la mer et l’esprit de la Gaspésie…

     Un invité spécial était présent, l’abbé Alain Mongeau, rayonnant, inspiré dans ses prédications, à l’aise dans l’eau, dans le bois, dans la solitude. 

samedi 26 août – la distance – Huit jours à se promener sur un immense territoire… parlons chiffres : plus de 2000  kilomètres de route absorbés en une semaine dont 800 ont été franchis dès le premier jour –  « Faut se lever de bonne heure ! »  Nous arrivons par la baie des Chaleurs qui, en vertu de sa grande beauté et de sa qualité exceptionnelle, compte maintenant parmi les membres du Club des Plus Belles Baies du Monde, lesquels sont 30 bijoux patrimoniaux à protéger. Ici les  nombreux barachois (bras de terre dans la mer, face au continent, qu’on appelait une barre à choir) enjolivent le paysage en l’humanisant. 

dimanche  27 août -  l’histoire – Sentiment d’humilité en se rendant au superbe Mont Saint-Joseph - 555m, vue exceptionnelle sur la baie - massif qui supporte, depuis les débuts, une grande partie des antennes de télécommunications de la Gaspésie.

C’est aussi un  lieu qui a une longue tradition de pèlerinage. La petite chapelle d’origine, de style breton, est maintenant abritée à l’intérieur d’un oratoire au toit bleu qui se voit de loin.  Nous y  rencontrons deux animateurs de pastorale, André Philippe et Raymonde  Arseneault, qui nous expliquent l’histoire des courageux Acadiens, déportés de leurs belles terres en 1755 par le Grand Dérangement des Anglais,  puis s’implantant vers 1765 dans la baie des Chaleurs.  

Devant la jolie église de Saint-Joseph de Carleton, nous faisons connaissance avec le missionnaire Joseph-Mathurin Bourg qui a été un « père de la nation » pour ce coin de pays. Ces Acadiens étaient des gens de mer. Grands pêcheurs de morue, ils ont également fondé, en 1923, la première coopérative de pêcheurs de saumon de l’est du Canada. C’était d’excellents navigateurs. Nous nous sommes aussi souvenus que Jacques-Cartier, en juillet 1534, découvrit  Tragadigash (en micmac : lieu de hérons) où il constata qu’une  nation indigène était solidement établie. Il fit le tour  de cette magnifique baie en cherchant un passage pour pénétrer dans le continent. Il lui sembla que la température y était aussi tempérée qu’en Espagne… il la nomma Baye des Chaleurs.

 

 

lundi 28 août -  le silence - On sait que le parc national de Mighasha (en langue micmaque : terre rouge) est inscrit depuis 1999 sur la prestigieuse Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO  pour sa  falaise fossilifère qui témoigne d’un milieu de vie d’il y a 370 millions d’années. Situé à l’extrémité sud de la péninsule, où les balbuzards (aigles pêcheur) sont nichés en grand nombre, se trouve un lieu particulièrement calme, une presqu’île de silence où nous avons séjourné trois nuits, deux jours, en ermitage. Chacun habite une maisonnette individuelle, style de vie simple où l’on revient à l’essentiel. Cela favorise la solitude et la réflexion dans le but d’approfondir son propre discernement spirituel. Sr Merzel Caissy scq est la mère nourricière de ce havre  de silence. Elle anime des sessions de désert où la personne qui s’y soumet, retrouve progressivement son identité, le sens de sa vie. Aucune pression n’est exercée, tout se vit dans l’ouverture à l’écoute intérieure, dans le cadre d’une nature fabuleuse, au bord de la mer. De sérieux et préoccupés gens d’affaire y redécouvrent leur cœur d’enfant et leur capacité d’émerveillement ainsi que leur sérénité. Les efforts fournis obtiennent des résultats surprenants…Cependant, je suis moi-même  plus proche de la pensée de Bécquer :

              La solitude est très  belle … quand on a quelqu’un près de soi à qui le dire.

 Chemin faisant vers notre prochain séjour, nous arrivons à la côte Surprise qui dévoile brusquement l’émotion visuelle du Rocher Percé. Le caillou d’un enfant de Géant…  Arrivé sur place, on savoure la gastronomie, les boutiques d’art et d’artisanat, les centres d’interprétation, les rendez-vous de musiciens, les randonnées en bateau  à l’île Bonaventure ou pour aller pêcher… l’été, la vie est très agréable à Percé !   

mardi, 29 août - La convivialité -  Nous habitons pendant deux jours au couvent des Missionnaires de Christ-Roi, un lieu clair, chaleureux, accroché à la montage, qui profite d’une vue  exceptionnelle sur Gaspé (Gespeg signifie, en langue micmaque, « fin des terres »; cela s’avéra pour les Blancs « début du pays »).  Sœur Patricia et Sœur Céline nous accueillent joyeusement,  toutes préoccupées de notre bien-être. Trois occasions au cours du voyage seront données aux membres du groupe de goûter à la joie de faire plaisir, puis à celle, aussi délicieuse, d’être l’objet d’une compréhension affectueuse. Pour Alain, prolonger la halte à Percé afin de lui permettre de faire de la plongée sous-marine aux abords de l’île Bonaventure. Pour les filles du groupe, leur donner le temps de participer à un atelier de bijoux, dirigé par une jeune autochtone  micmacque à Forillon. Laisser à René le temps nécessaire pour escalader, de façon très alerte d’ailleurs, le Mont-Albert dans le Parc national de la Gaspésie.                                                             

mercredi 30 août -  la pluie – Nous avons passé une journée fabuleuse sous le déluge au parc Forillon, les nuages et la brume encapuchonnant les caps grandioses.

Nous avons observé à satiété les phoques,  les cormorans et autres hôtes de cette nature plus grande que l’imagination. On aurait pu  apercevoir des baleines, des dauphins, des petits pingouins et mille colonies d’oiseaux. Nous avons profité du remarquable centre d’interprétation sous le thème   « l’harmonie entre l’Homme, la terre et la mer » et visité des installations d’autres époques comme le magasin Général.   Au retour, une halte dans un sanctuaire qui contient de belles œuvre d’art. À l’intérieur de Notre-Dame de Pointe-Navarre, il y a deux sculptures de Médard  Bourgault, un crucifix et un admirable St-Joseph ouvrier. Médard est l’un des trois frères  Bourgault, artistes très connus de Saint-Jean-Port-Joli. Il a, entre autres, sculpté les 72 statues de bois qui ornent l’église Saint-Viateur d’Outremont. Dans le sanctuaire, on peut admirer également des très belles céramiques de l’artiste française Rose-Anne Monna.  
                   La beauté rend toujours la vertu plus aimable.
  Virgile

jeudi 31 août -  l’air      Nous avons eu la chance d’être sur le mont Saint-Pierre au moment où les vents étaient parfaitement favorables à l’envol en deltaplane d’une jeune Catherine qui attendait ce moment depuis deux jours.

L’instructeur Yvon est un pédagogue remarquable qui a guidé sa cliente - avec qui il est attaché à l’appareil – en la rassurant, en lui donnant des instructions claires et précises. Ils se sont précipités dans le vide avec célérité, pour ensuite voltiger doucement au dessus de la mer puis se sont posés sur le sol… Icare aurait apprécié cette performance aérienne à sa juste valeur !

vendredi 1er septembre –  le sauvage – Par une matinée météorologiquement parfaite, soleil et légèreté de l’air, nous avons entrepris notre visite du Parc  national de la Gaspésie, cette « mer de montagnes ». Les monts Chic-Choc (en langue micmaque,  « parois infranchissables ») sont un massif de  25 sommets de plus de 1000 mètres. À l’œil nu, les plissements des parois ressemblent à  une ceinture fléchée. Par des vidéos tournés dans le parc de la Gaspésie j’ai fait la connaissance d’une peintre animalière extraordinaire qui communique avec les animaux sauvages dans leur habitat  naturel, avec les perdrix, mais surtout avec les orignaux (mooses - élans d’Amérique) en adoptant leur identité et leur impressionnant langage. 

Ses œuvres sont accrochées dans la galerie d’art de la magnifique auberge de La Seigneurie des Monts à Ste-Anne-des-Monts où nous avons séjourné. Le bonheur d’acquérir l’un de ces tableaux fait partie des émotions les plus précieuses que j’ai vécues cet été.

samedi 2 septembre - la lumière – La dernière vision gaspésienne de ce voyage est le paradis végétal (3000 variétés de plantes exotiques et indigènes) de la belle Elsie Reford à Grand-Métis, et sa somptueuse villa Esteven où j’aurais bien aimé prendre le thé à l’anglaise, comme je l’ai dégusté avec des copines, à la splendide résidence montréalaise de son oncle bien-aimé, le Mount- Stephen Club. C’est ce Lord Georges Stephen qui lui a offert le domaine et la résidence de Métis qu’elle transforma progressivement en des lieux fabuleux. On ignore probablement qu’Elsie fut le modèle du sculpteur Louis-Philippe Hébert pour sa Madeleine de Verchères (1913). Cette femme remarquable voyagea à travers le monde, et particulièrement en Gaspésie, avec ses deux fils; elle s’occupa d'œuvres philanthropiques et mourut à 96 ans dans sa résidence de la rue Drummond à Montréal. Elle jardina elle-même dans son domaine, mais s’entoura aussi de spécialistes qui amenèrent à ses jardins une immense réputation internationale en botanique dont les pavots bleus, adaptés de ceux des Hymalayas, en sont le symbole bien connu.

                  Trois choses sont  nécessaires à la beauté : l’ intégralité, l’harmonie, la luminosité.
James Joyce

En conclusion – la spiritualité – Ce tour de la Gaspésie est présenté comme un ressourcement spirituel. Pourquoi nous priver de croyances qui nous soutiendraient dans les moments de crise et donneraient un sens à notre vie ?   C.G Young Des liens fraternels se sont créés entre les voyageurs qui ont admiré ensemble des lieux, des atmosphères, des espaces… dans le recueillement, ils se sont sentis proches les uns des autresL’amitié se passe de paroles. Elle est la solitude délivrée de l’angoisse de la solitude. – Dag Hammarshjöld  Les objectifs sont atteints par chacun, à sa façon… les émotions esthétiques et spirituelles ne se mesurent pas ni au poids ni à l’aune… la liberté, soigneusement respectée, n’est-elle pas la plus merveilleuse façon de tirer profit de cette expérience où les vents furent si favorables

Claire Landry landry.claire@uqam.ca
Professeure retraitée de l’UQAM
Membre de Riaq-voyages (www.riaq.ca)