La Baie de Quiberon et le Golfe du Morbihan... à la voile
par
Pierre Le Ny
Tous les ans, depuis que j'ai vendu mon dernier bateau (1993), je suis souvent invité pour faire des sorties à voile pendant la saison estivale. Le plus souvent, c'est pour aller en Baie de Quiberon, histoire de respirer l'air iodé du large, croiser d'innombrables autres voiliers, observer l'immensité du décor bleu à l'infini, faire des manœuvres pour utiliser la force du vent, et surtout passer de bons moments ensemble.
Dimanche soir donc, Julien, un retraité comme moi, m'appelle. Gring ...gring...gring. Je décroche le téléphone.
... C'est Pierre ? Ici c'est Julien !
... Oui, Bonsoir Julien !
... Es-tu volontaire pour venir faire une sortie dans le Golfe du Morbihan?
... Il y aura aussi notre ami Jean Le Bras. Programme : faire un grand tour du Golfe, jusqu'à l'île Hur derrière l'Ile d'Arz, retour si possible en contournant l'Île aux Moines par le Nord, utiliser le reflux de la marée pour aller vers Port Navalo en passant entre l'Île de la Jument et celle de Berder, puis revenir vers la rivière d'Auray , aussitôt après avoir passé l'Île Longue. La météo est prévue
assez bonne. Même si le vent ne sera pas très fort.
Naturellement, j'ai répondu "oui" sans hésitation. En espérant toutefois qu'il n'y aura pas trop d"aventures". Car en fait, à chaque sortie sur ce vieux bateau, il y a presque toujours une ou plusieurs surprises.
Lundi matin donc, à l'heure convenue, nous voilà partis tous les trois, joyeux d'être
ensemble, en route pour les îles du Golfe du Morbihan dans notre voilier appelé Pétrel, soit le nom d'un oiseau de mer. Le temps était calme, la mer tranquille, le vent léger, mais parfaitement favorable pour aller en direction du Golfe. Après quelques vérifications du matériel, du gréement, de la mise en remorque de notre annexe avec des avirons, nous avons mis les voiles. Aussitôt après avoir largué l'amarre avant, le bateau, sans aucun bruit, a commencé immédiatement à prendre de la vitesse.
Il fallait manœuvrer avec sûreté, car il y avait d'autres bateaux au mouillage tout autour. Et le moteur, il ne fallait pas trop compter dessus, car il s'agit d'un vieux modèle qui commence à devenir un peu problématique ! après une demie heure de fonctionnement, il s'arrête parce qu'il chauffe. En plus il n'y a plus de point mort. Donc c'est très délicat de passer de la marche avant à la marche arrière. "Les ans en sont la cause principale".
Quand au bateau, il s'agit également d'un vieux modèle, mais la coque est très solide. Seul le gouvernail avait dernièrement commencé à devenir fragile. A cause d'une fente sur la partie la plus concernée par les efforts hydrodynamiques. Mais il avait été consolidé. Et tout en filant allègrement, nous avons tout de suite parlé du circuit le plus favorable. Seul un tout petit bruit de clapot à l'avant, nous rappelait que notre allure était correcte.
Cependant, comme dans ce secteur, par endroits la profondeur de l'eau n'est pas très importante, et qu'il a beaucoup des fonds rocheux, il faut rester attentif. Heureusement, il y a un sonar sur le tableau de bord. Il indique en permanence la hauteur d'eau qu'il y a sous la coque. Bien sûr, même si on connaît bien cette zone, il faut de temps en temps, consulter la carte marine, pour choisir la meilleure route.
Au bout d'une heure de navigation, nous étions dans le courant montant, vers l'Île aux Moines. Comme le vent était faible, dans le plus fort courant, on ne contrôlait pas toujours notre trajectoire d'une manière parfaite. À un moment même, le bateau s'est mis à faire un tour complet (360°) puis encore un demi tour. Pendant près d'une minute, le bateau allait "à reculons". Cela veut dire que l'arrière était devenu l'avant ... tout en allant à peu près dans la bonne direction : rien à faire pour éviter cela.
Puis, après une petite risée, tout est revenu dans l'ordre : c'est à dire que l'avant est revenu dans la direction " pointe Sud de l'île aux Moines et l'arrière toujours avec l'annexe qui suivait paisiblement. Heureusement, car il s'agit de quelque chose d'indispensable : il n'y a pas de quai, ni de jetée sur l'île Hur.
Le passage de la Jument est connu comme l'un des plus forts d'Europe. Il est quasiment impossible de passer à contre courant. Ou alors il faudrait avoir un moteur d'une puissance de 100 ou 200 chevaux. Ou encore, il faudrait passer au bord, au raz des rochers, en utilisant les contre-courants, à condition d'avoir un bon vent. Mais c'est très délicat et risqué.
En allant vers la Pointe Sud de l'Île aux Moines, nous étions toujours en allure "vent arrière", et même par moments "en ciseaux" : ce qui veut dire avec la grand voile complètement déployée d'un côté, et le génois tenu à l'opposé avec un tangon.
Bien sûr, chacun de nous trois faisait son possible pour faciliter la navigation. Car en fait, sur un voilier, il y a toujours quelque chose à faire. Le décor et les circonstances changent en permanence. Il faut étudier, regarder la courbure des voiles, régler les écoutes, regarder les autres bateaux tout autour, et surtout anticiper en permanence.
Presque toujours les idées fusent. C'est comme travailler en équipe, il y a de la concertation permanente. C'est ainsi qu'il y a la meilleure chance de réussir notre sortie. On espère toujours que les Dieux seront toujours avec nous ! Car parmi la multitude de petites choses qui concourent à l "aventure", il faut savoir qu'il peut y avoir certaines d'entre elles qui n'attendent que la moindre inattention de notre part, pour nous jouer des mauvais tours.
Aussitôt après avoir contourné la Pointe Sud de l'Île Aux Moines donc, à l'horizon nous avions commencé à distinguer notre fameuse Île Hur, derrière l'Île d'Arz. Et puis, progressivement elle grandissait, jusqu'à pouvoir distinguer les endroits rocheux et ceux plus accueillants pour pouvoir approcher. L'eau étant encore tranquille, la manœuvre de l'arrivée n'avait pas été bien difficile. Quand nous avons atteint le point qui nous avait paru le plus favorable, nous avons jeté l'ancre et baissé les voiles. Il était 13 h passée.
Tout ça nous avait mis en appétit. Nous avons préféré déjeuner à bord, à cause de la vue panoramique extraordinaire, mais aussi pour les commodités du cockpit. Les victuailles avaient été prévues largement : au cas où notre aventure durerait plus longtemps que prévu. Comme la fourmi "pour ne pas risquer d'être pris au dépourvu". Étant donné la vétusté du bateau, on sait quand on part, mais on ne sait souvent pas bien quand, ni comment on pourra revenir !
Après, avec notre annexe et quelques coups d'aviron, nous voilà sur la terre ferme, sur cette fameuse île Hur, l'une des plus enchanteresses, oubliées au fond du Golfe. Tout autour il n'y a bien sûr, que de l'eau bien bleue, à perte de vue, avec des îles au loin un peu dans toutes les directions. Sur cette île d'environ 1 kilomètre de longueur, et un peu moins de largeur, il n'y a que quelques trois ou quatre maisons inhabitées sauf au mois d'août, et
une chapelle bien entretenue. Côté Est, il y a une belle petite plage avec du sable fin, mais complètement déserte. Pour vous donner une idée, c'est comme si vous étiez en Polynésie : à petite échelle bien sûr. Tant la végétation et l'environnement y ressemblent.
Problème : dans de telles circonstances, on voudrait toujours que le temps s'arrête ! mais c'est juste le contraire. Il passe très vite, beaucoup trop vite. A 16 h passée, la marée descendante est déjà bien commencée. Il fallait repartir. Car sinon on risquait d'être bloqués là toute la nuit. Nous revoilà donc tous les trois (comme les 3 mousquetaires) sur le pont, à nouveau parés pour la 2ème moitié de l'aventure". Quand tout fut prêt, il avait fallu lever l'ancre. J'étais à la barre, alors que Julien et Jean hissaient cette lourde pièce à l'avant. Un dernier regard nostalgique sur l'île Hur la Magnifique, et nous voilà filant vers le sud, avec notre annexe attaché derrière.
Nous avions pensé que l'on pourrait contourner la Pointe sud de l'île d'Arz, puis se diriger vers Arradon pour retrouver le courant descendant du côté de la Pointe sud de l'Île aux Moines. Mais après une bonne demie heure , alors que toutes circonstances nous paraissaient parfaites, une surprise désagréable est arrivée. Julien avait eu l'heureuse idée de regarder derrière. Et là justement, il y avait un gros morceau qui manquait : il n'y avait plus d'annexe du tout. Le cordage, un peu vieux lui aussi, avait lâché prise, sans que personne s'en aperçoive.
Immédiatement nous avons changé de cap, pour tenter de distinguer une forme qui puisse ressembler à notre annexe beige d'environ 3 m de longueur. Malheureusement, plus on allait dans la direction d'où nous étions partis, plus on se rendait compte qu'elle manquait cruellement dans tous les coins perceptibles par nos yeux. Et puis nous avons appelé le skipper d'un bateau qui venait de loin face à nous, s'il n'avait pas vu une annexe à la dérive dans le secteur ?.
Malheureusement, il n'avait rien vu. Et après ça, Jean a eu une autre idée ... géniale : changer complètement la direction des recherches. Jean est un ancien pilote de Guerre. Pendant toute sa carrière militaire, son métier c'était d'intercepter un ennemi potentiel dans le ciel. Il a donc encore des réflexes extrêmement rapides. Et justement ici, il s'agissait d'une espèce de "chasse au trésor"!
Et aussitôt après avoir changé de cap, avec une rapidité et une sûreté extraordinaire, alors que nous deux Julien et moi, nous étions toujours dans l'incertitude et même l'inquiétude, il nous lance : la voilà, je la vois, elle est là, à un demi mille nautique environ, vers le Sud/Est !
Ensuite, ce fut un jeu d'enfant de l'atteindre et de récupérer ce petit trésor qu'on avait failli perdre corps et bien !. Si ç'avait été le cas, on aurait appelé l'île Hur, " l'Île au trésor perdu" ! Et tout ça nous avait finalement fait perdre une heure de temps. Donc plus question d'aller rejoindre le courant par la Pointe Nord de l'Île aux Moines. En plus, le vent avait faibli. Et le mieux, c'était d'aller au plus court vers le Sud Ouest, en contournant l'Île au Moines par le sud. Heureusement, malgré tout, nous avions gardé une extrême clairvoyance. Pas question de perdre le nord. Le Golfe est tellement grand ! Surtout nous : trois anciens de l'Aéronautique ! Car sinon, les anciens de la Marine nous regarderaient de haut. Alors que d'habitude, c'est nous qui les regardons de haut, les plus lourds que l'air !
Par la suite, tout se passa bien: plus aucune mauvaise surprise pour nous ré-exciter ! Nous sommes même arrivés juste à temps au niveau de l'Île longue, afin de changer cap et remonter vers la Rivière d'Auray: début marée remontante. Donc par la suite, nous avons encore eu des courants plutôt favorables (le flux) pour rejoindre notre point d'attache à la Pointe du Blair.
Mais il était tout de même près de 20 heures quand nous avions remis les pieds à terre : avec la satisfaction, comme du temps où nous étions en service de : " MISSION ACCOMPLIE", envers et contre toutes les adversités. Rien de perdu, rien de cassé ! Et en plus, comme après chaque journée passée sur l'eau, nous étions très oxygénés et contents de nous ! Donc on pouvait encore dire "HEUREUX QUI, COMME ULYSSE, A FAIT UN BEAU VOYAGE"
Merci Julien, Merci Jean ! pour cette sortie extraordinaire !
Je vous salue bien bas : Pierre Le Ny, de Bretagne, membre des
listes VOYAGES et GÉNÉRALISTE
du RIAQ.